The newspaper dead (Les morts des journaux) – Poème de Pierre Joris

THE NEWSPAPER DEAD. the paper picked up taken home, like going to church on sunday, long ago, as regular, as much of a rite. the double ritual of reading, of writing, take notes, see how it can enter, that world, your world, too. introïbo. no altar but what rolled off the presses, heavily inked. iconography of random death: if to pray is to give thought, intensely, then that is what I am doing right now unalienable format : too large to be cut out and glued into notebook : this dead will have to stay where it is, on the front page, tomorrow’s dustbin liner. this is a Reuters dead from Rome, young woman in heavy wintercoat, wool cap with studded rim pulled down to half-inch above eyebrows, face pressed three quarters towards me to the asphalt, ear to the ground as if listening for a distant tremor an approaching train a faroff revolution or simply for what the earth has to tell her. whatever it is, she can no longer hear it. Vilma Monaco, 28, carrying a .38 in her hand and a German MP4o in her bag, 15 spent cartridges littering the ground, the pointless numbers, do what you want, they all spell death, Vilma surrounded by numbers caught in a web like a medieval hex, killed in Rome trying to kill a roman politico who played with bigger numbers, she a member of the Fighting Communist Union, a splinter-group of the Red Brigades, offshoot born to die out of the second split of the BR in Paris 1984. collar frayed where a bullet went through I think. I would like to put my finger there. to shake you death of europe, by the shoulders, get up, it was all a dream of winter, the minor corrupt christian-democrat politico not worth it, wrong strategy, though who am Ito say despair is ever wrong. coldblooded : she is wrong because she is dead. one of us is dead, one more skull to be strung on a chain we all carry around our necks. but that too, too romantic, as gooey as her own harsh choice. Vilma Monaco, a name Hollywood might have picked. this is hello and good-bye, Vilma Monaco. Vilma Monaco, you leave me here with only an introïbo , with no credo , which is all you had, you leave me here with your name only, with your smudged inky deathmask, already a twenty four hour dead, Monaco, Vilma, your face pressed against the street, listening to someone I cannot hear.

Pierre Joris, in Poasis, selected poems 1986-1999, Wesleyan University Press, 2001.

Newspaper dead - Vilma Monaco

Vilma Monaco (1958–1986), abattue à Rome le 21 février 1986
– Photo de couverture de « L’Enragé » du 10 juin 1986 –

LES MORTS DES JOURNAUX. sortir acheter le journal, rentrer le déplier, aussi rituel, aussi régulier qu’aller à l’église le dimanche, il y a longtemps. double rituel de la lecture, de l’écriture, prendre des notes, voir comment ça peut entrer, ce monde, ton monde, aussi. introït. pas d’autre autel que ce qui sort des presses, lourdement encré. iconographie de la mort fortuite : si prier c’est penser à, intensément, alors c’est ce que je suis en train de faire maintenant. format inaliénable : trop grand pour être découpé et collé dans mon carnet de notes : cette morte devra rester où elle est, sur la une, sac de poubelle de demain. une morte que Reuters rapporte de Rome, jeune femme en lourd manteau d’hiver, casquette de laine avec bord clouté enfoncée jusqu’aux sourcils, le visage, de trois quarts tourné vers moi, collé sur l’asphalte, l’oreille contre le sol, comme pour écouter un tremblement lointain un train qui s’approche une révolution qui s’éloigne ou simplement ce que la terre a à lui dire. quoi que ce soit, elle ne peut plus l’entendre. Vilma Monaco, 28 ans, un 38 dans sa main, un MP40 allemand dans son sac, 15 douilles de cartouches à côté d’elle sur le sol, nombres dénués de sens, recombine-les comme tu veux, ils épèlent tous la mort, Vilma entourée de nombres, prisonnière d’une toile comme une sorcellerie médiévale, tuée à Rome alors qu’elle tentait de tuer un politicard romain qui jouait avec des nombres plus grands, elle, membre de l’Union des Combattants Communistes, un groupe dissident des Brigades Rouges, rejeton né pour mourir de la seconde scission des BR à Paris en 1984. le col éraillé, traversé, je crois, par une balle. j’aimerais y mettre mon doigt. te secouer, mort de l’Europe, te saisir par les épaules, lève-toi, ce n’était qu’un rêve d’hiver, le petit politicard corrompu de la démocratie-chrétienne n’en valait pas la peine, fausse stratégie, mais qui suis-je pour dire que le désespoir a toujours tort. de sang-froid je dirais : elle a tort parce qu’elle est morte. l’un de nous est mort, un autre crâne à enfiler dans cette chaîne que nous portons tous autour du cou. mais ça aussi, trop romantique, aussi sirupeux que son propre choix cruel. Vilma Monaco, un nom qu’Hollywood aurait pu inventer. c’est un bonjour et un au revoir, Vilma Monaco. Vilma Monaco, tu me quittes avec seulement un introït, sans credo, ce qui est tout ce que tu avais, tu me laisses tout seul avec ton nom, avec ton masque mortuaire maculé d’encre, une mort vieille de vingt-quatre heures déjà, Monaco, Vilma, ton visage collé contre la rue, écoutant quelqu’un que je ne peux pas entendre.

Pierre Joris, in La dernière traversée de la Manche, poèmes, Ed. Phi & Ecrits des Forges, collection Graphiti, 1995.
Traduit par Jean-Paul Junck & Jean Portante en collaboration avec l’auteur.


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