S’abaisser jusqu’à l’humus (Abbassarsi fino all’humus) – Poème de François Cheng

Hasard ou « synchronicité » à la Jung, je travaille actuellement avec une nouvelle collègue qui vient de recevoir une distinction universitaire en étant lauréate du prix LILEC de traduction poétique.

Italienne installée en France durant ses études, Sara Baffetti étudie la littérature française et prépare une thèse sur les écrivains français d’origine chinoise.

Par le biais du prix qu’elle a reçu en octobre à l’université de Bologne (Département des langues), elle m’a fait découvrir le poème « S’abaisser jusqu’à l’humus » de François Cheng.
Tiré du recueil Vraie Lumière née de vraie Nuit (眞光出於眞夜), ce poème revêt une profondeur philosophique qui m’intéresse et me questionne. Il invite à réfléchir sur la mort et la vie, sur les cycles et les ruptures, sur cette terre que l’on foule constituée de corps morts pour permettre des vies nouvelles.

Je vous invite à le lire, suivi de sa traduction en italien que Sara m’a aimablement autorisé à publier dans cet article.

S’abaisser jusqu’à l’humus où se mêlent
Larmes et rosées, sangs versés
Et source inviolée, où les corps suppliciés
retrouvent la douce argile,
Humus prêt à recevoir frayeurs et douleurs,
Pour que tout ait une fin et que pourtant
rien ne soit perdu.

S’abaisser jusqu’à l’humus où se loge
La promesse du souffle originel. Unique lieu
De transmutation où frayeurs et douleurs
Se découvrent paix et silence. Se joignent alors
Pourri et nourri, ne font qu’un terme et germe.
Lieux du choix : la voix de mort mène au néant,
Le désir de vie mène à la vie. Oui, le miracle a lieu,
Pour que tout ait un fin et que pourtant
toute fin puisse être naissance.

S’abaisser jusqu’à l’humus, consentir
À être humus même. Unir la souffrance portée
Par soi à la souffrance du monde ; unir
Les voix tues au chant d’oiseau, les os givrés
au vacarme des perce-neige !

François Cheng, in Vraie Lumière née de vraie Nuit, Ed. du Cerf, 2009

S'abaisser jusqu'à l'humus

Sans titre – Huile de Kim en Joong – 2010
– Cet artiste peintre a illustré le recueil Vraie Lumière née de vraie Nuit –

Abbassarsi fino all’humus dove si mescolano
Lacrime e rugiada, sangue versato
E fonte inviolata, dove i corpi giustiziati
ritrovano l’argilla clemente
L’humus pronto a ricevere orrori e dolori,
Affinché tutto abbia fine e tuttavia
niente vada perduto.

Abbassarsi fino all’humus dove alberga
La promessa del soffio vitale. Unico luogo
Di transmutazione dove orrori e dolori
Si rivelano pace e silenzio. Si mescolano allora
Lamento e alimento, germinano in un solo termine.
Luoghi di scelta: la voce della morte porta al nulla,
Il desiderio di vita porta alla vita. Sì, avviene il miracolo,
Affinché tutto abbia fine e tuttavia
ogni fine possa essere nascita.

Abbassarsi fino all’humus, acconsentire
A essere humus stesso. Unire la sofferenza portata
In sé alla sofferenza del mondo; unire
Le voci tacite al canto degli uccelli, le ossa di brina
allo strepitio dei bucaneve!

François Cheng
Poème traduit en italien par Sara Baffetti, prix LILEC 2018 de traduction poétique.

Lecture du poème par son auteur, François Cheng, lors de la présentation de son livre en 2009 enregistrée et diffusée dans l’émission Au fil des pages de Canal Académie.


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