Dans ses Poèmes à Lou, Guillaume Apollinaire met en vers son amour pour Louise de Coligny-Châtillon. Immergé en tant que soldat au cœur de la Grande Guerre, le poète exprime à travers le sentiment d’amour ses espoirs, ses peurs, ses doutes et ses fantasmes. D’une certaine façon, on peut penser qu’il trouve par l’écriture la force de résister à l’horreur.
Les mots sont forts et les métaphores souvent crues, à l’image du contexte terrifiant de guerre où ils ont été écrits.
Voici mon poème à Lou préféré :
Je t’adore mon Lou et par moi tout t’adore
Les chevaux que je vois s’ébrouer aux abords
L’appareil des monuments latins qui me contemplent
Les artilleurs vigoureux qui dans leur caserne rentrent
Le soleil qui descend lentement devant moi
Les fantassins bleu pâle qui partent pour le front pensent à toi.
Car, ô ma chevelure de feu, tu es la torche
Qui m’éclaire ce monde et, flamme, tu es ma force
Dans le ciel les nuages
Figurent ton image
Le mistral en passant
Emporte mes paroles
Tu en perçois le sens
C’est vers toi qu’elles volent
Tout le jour nos regards
Vont des Alpes au Gard
Du Gard à la Marine
Et quand le jour décline
Quand le sommeil nous prend
Dans nos lits différents
Nos songes nous rapprochent
Objets dans la même poche
Et nous vivons confondus
Dans le même rêve éperdu.
Mes songes te ressemblent
Les branches remuées ce sont tes yeux qui tremblent
Et je te vois partout toi si belle et si tendre.
Les clous de mes souliers brillent comme tes yeux
La vulve des juments est rose comme la tienne
Et nos armes graissées c’est comme quand tu me veux
Ô douceur de ma vie, c’est comme quand tu m’aimes.
L’hiver est doux, le ciel est bleu,
Refais-me le, refais-me le
Toi ma chère permission
Ma consigne, ma faction,
Ton amour est mon uniforme
Tes doux baisers sont les boutons
Ils brillent comme l’or et l’ornent
Et tes bras si roses si longs
Sont les plus galants des galons
Un monsieur près de moi mange une glace blanche
Je songe au goût de ta chair et je songe à tes hanches
À gauche lit son journal une jeune dame blonde
Je songe à tes lettres où sont pour moi toutes les nouvelles du monde
Il passe des marins, la mer meurt à tes pieds
Je regarde ta photo, tu es l’univers entier
J’allume une allumette et vois ta chevelure
Tu es pour moi la vie cependant qu’elle dure
Et tu es l’avenir et mon éternité
Toi mon amour unique et la seule beauté.
Guillaume Apollinaire, in Œuvres poétiques, Ed. Gallimard, 1965.
Huitième poème des Poèmes à Lou, écrit à Nîmes le 10 janvier 1915.
Le rêve du poilu de José Bes, sculpté en 1916
« LOU »
par Patrick Aspe.
Lou
dans l’immense quiétude des silences
seule
fragile Lou
tu regardes le passage des ombres
pour te faire une raison
et délicatement
ferme toi sur toi
pour grandir
humble et lumineuse
par la vision des « autres »
femme fière
du devenir des mots dans l’image des rêves
joie du partage
joie des échanges
nous sommes là pour donner à voir
donner à prendre
« oeil ouvert »
sur notre infini
fragile et fière
pierre d’angle
pierre perdue
dans l’air des sables et des éponges lointaines
le peintre passe et dresse son pinceau
face aux couleurs des rêves
dans un champ de coquelicots
quand la « Topaze » se fond dans les coeurs
je dois me taire
rien à dire
seul compte la sensation flamboyante des mots rares
comme une image pour le partage…
Lou s’en va
libre d’être là
parmi les passagers…