Moment Vert
Au bord du grand vide où le soleil tombe et cligne
Au loin dans la mer où va bouillir ce tison
Regarde et suspends ton regard à l’horizon
Rouge et bleu et rouge : en accord à la saison.
Regarde, c’est lui, le Rayon vert de la Ligne
Celui qu’on attend, qui hésite et qui survient
C’est lui : je connais son éclat et son soutien
Dur, sourd, éclatant, merveilleux et indistinct
De même sois bien attentif à ce moment
Vert, pur, incroyable, indécis au bord du temps
Celui que jamais on ne voit ou qu’on attend
Celui qu’on épie, et qui fuse et qui enivre
Mais quel soleil ? Quelle frange d’été ?
Va-t-il éclater, intolérable et dardé
Ou bien si mes yeux lourds de longue anxiété
Ne crèveront pas avant qu’il ne les délivre.
Victor Segalen (1878-1919), in Odes futures, texte établi et présenté par Michael Taylor dans le Cahier de l’Herne Segalen, Ed. de l’Herne, 1998
« Le rayon-vert, connu des pilotes de jonques seulement est cette lueur instantanée que le Cruel Satellite projette comme une aube rouge avant de mourir. Il s’agit d’un seul rayon, le dernier. Certains le nient. D’autres y croient, regardent vers lui tous les soirs, et ne désespèrent point. De là, transposition au moment, vert également, et qui n’est point le rouge instant ni l’heure bleue ni rien de ce que les sentimentalismes éduqués ont donné de fadeurs.
Le poète ne dit pas s’il l’a vu ou non. — Il semble lui suffire de l’attendre, de l’espérer, de le louer par avance. » Extrait du commentaire p.39.