LE CHŒUR. Étranger, tu es dans une contrée célèbre par ses coursiers, dans le plus beau séjour de ce pays, tu es sur le sol du blanc Colone. Ici de nombreux rossignols font entendre leurs plaintes mélodieuses dans des vallons toujours verts, sous l’ombrage du lierre noirâtre, et dans ces bois sacrés, inaccessibles, impénétrables au jour, où les arbres chargés de fruits sont respectés des orages, et où, dans ses joyeux transports, Bacchus aime à errer au milieu du cortège de ses divines nourrices. Chaque jour la rosée du ciel y fait fleurir le narcisse aux belles grappes, et le safran doré, couronne antique des deux grandes déesses. La source du Céphise y verse à flots pressés une onde qui ne dort jamais; et sans cesse son eau limpide court à travers la plaine et féconde au loin les campagnes. Ni les chœurs des Muses, ni Vénus aux rênes d’or ne dédaignent ces lieux. Là croît un arbre que n’a jamais produit l’Asie, ni la grande île de Pélops, habitée par les Doriens, un arbre qui vient de lui-même, sans culture, l’effroi des lances ennemies et qui fleurit à une très grande hauteur dans ce pays ; l’olivier à la feuille bleuâtre qui ombrage le berceau de l’enfance, élève dans cette contrée ses rameaux vigoureux. Les chefs ennemis, jeunes ou vieux, ne pourront jamais l’arracher ni le détruire; Zeus Morios et Athéna aux yeux bleus veillent sans cesse sur leur arbre chéri.
Sophocle (495 av. J.-C. – 406 av. J.-C.), Œdipe à Colone, Ed. Hachette & Cie, 1859.
Traduit du grec ancien par Louis Bellaguet (1807-1884).
Œdipe à Colone, paysage historique – Par François-Xavier Fabre, 1808.
Huile sur toile conservée au Musée Fabre de Montpellier