LA SEULE
Le 26 mars 1939.
Tu fais le premier pas, tu confonds nos ombres
Il n’y a plus de distance
Entre nous
Nous sommes plus proches
Plus semblables et différents que l’aurore et l’aube
Sur tes lèvres la nuit se retire
La clarté tranquille de la fatigue
Éblouit tes veines
Ton sang te reprend tout entière
Et toutes les bêtes obscures
Qui nous séparaient encore
Le bruit clair de ton cœur les a chassées
Nous ne pouvons plus ne pas nous voir
Chaque matin la lumière te conquiert
Les belles herbes du soleil envahissent les doux chemins de
Ton sang
Comme je vais t’aimer
Bienheureux où irons-nous ?
Et tu es si belle et je suis si beau moi de t’avoir touchée
Que la vie dans nos yeux un doigt levé
S’arrête
Pour nous regarder.
Marc Patin, in Christophe Dauphin, Marc Patin, le surréalisme donne toujours raison à l’Amour, Ed. Librairie-Galerie racine, 2006.
LETTERA AMOROSA
Est-ce que je pense à l’éternel
quand nous nous serons nue à nu?
– Non, j’évoque l’herbe
ou le bonheur d’un animal de grande taille
(un éléphant peut-être)
dans une étendue d’eau à sa mesure
Mais ce n’est pas en mots, c’est dans tout mon corps
profusément
Et quelquefois, te regardant dormir, encore nu,
mon être d’amour fait place
toujours sans mots
à l’anxiété de qui attend
la fuite la bombe le bourreau
dans ce monde où rares sont les grands lits calmes.
Marie-Claire Bancquart, in Explorer l’incertain, Amourier.
RÊVÉ POUR L’HIVER
L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…
Et tu me diras : « Cherche ! » en inclinant la tête,
– Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup…
(Écrit en wagon, le 7 octobre 1870.)
Arthur Rimbaud, in Cahiers de Douai, 1870.