LE RÔDEUR DE GRÈVES
À l’intelligent poète Philippe FABIA.
De sa valse lente effleurant la dune
L’haleine du soir chante sous la lune…
Le flot vaste brame
Sur un rauque ton :
La crête des lames
S’ourle de coton.
De sel et de sable
L’aile du noroît
S’imprègne et m’accable
De ce grésil froid.
En vain, je ramène
Sur mes os transis
Mon manteau de laine
Tout froissé de plis.
Sous la bise nette
Comme en oraison,
Inclinent leurs têtes
Ajoncs et chardons.
Dans l’ombre argentée
La tour d’un manoir
Demeure plantée
Comme un veilleur noir.
Et mon pied qui tinte
Sur le galet sec
Arrache une plainte
Au triste varech.
Phœbé, qui s’attache
À son vif élan,
Double d’une tache
Mon corps de passant.
Son rais, qui l’allonge
En bouffon géant,
Rétrécit et ronge
Son contour flottant.
Soudain, forte et lourde,
En mots de terreur
La rafale sourde
Assaille mon cœur.
Et, dans mes oreilles
Fuse, ronfle et court
Sa rumeur, pareille
Au bruit d’un tambour.
C’est une parole
De contact impur,
Déhanchée et folle,
Aux termes obscurs.
Furieuse et morne
Elle m’étourdit,
Et, comme une corne,
M’entre dans l’esprit…
De sa course rude écrasant la dune
L’haleine du soir mugit sous la lune…
Fleury Vindry (1868-1925), in Toutes les brises, Lyon, 1924.
Poème écrit le 30 septembre 1924.