Féline Bastet, muse du poète

Le chat, animal indépendant à la vie la plus envieuse qui soit, est souvent le compagnon du poète. Il arrive même qu’il l’inspire :

 

LE LIVRE DES SEPT MÉDITATIONS
Par Zébuth, chat

 

Méditation première.

Je m’appelle Zébuth et je suis noir, car le noir est la plus belle des couleurs.

Méditation deuxième.

Dormir est bon. Quand je dors, je pense bien. Le sommeil convient au philosophe.

Méditation troisième.

Le feu sent bon. Je m’étale devant lui pour me pénétrer de son odeur ; mais il ne faut pas que j’en sois trop près car alors elle me brûle. C’est ainsi qu’en l’excès même du bien réside le mal.

Méditation quatrième.

Les chattes sont adorables.

Méditation cinquième.

Les hommes sont laids. C’est pourquoi ils se cachent derrière des étoffes.

Méditation sixième.

Les hommes sont mes esclaves et ils me respectent.
C’est pourquoi ils me réservent le meilleur de leurs aliments, qu’ils séparent sur des assiettes des déchets que je leur abandonne.

Méditation septième.

En paiement de leurs services, je laisse parfois aux hommes, ainsi qu’il est juste, l’usage de Mon fauteuil.

Zébuth, chat

*
*  *

NOTE DU TRADUCTEUR

Il nous était déjà apparu depuis un certain temps que le chat Zébuth devait être un profond philosophe. Souvent, étendu devant la cheminée sur un siège moelleux, il semblait, cependant que la flamme dansante enrichissait sa robe noire d’une pourpre éphémère, indifférent au monde extérieur et absorbé dans sa pensée. Oh ! comme il était alors loin de nous, loin de nos pauvres esprits éternellement agités de vaines inquiétudes !

C’est dans ces moments d’isolement et d’extase qu’il composait cet étonnant Livre des sept Méditations qu’un heureux hasard mit récemment entre nos mains, et dont il sera superflu de faire l’éloge à quiconque l’aura lu.

La postérité dira, comme nous, que ce petit ouvrage est un chef-d’œuvre.

 

Pierre Lebasteur, le 29 décembre 1910. In Musiques vaines et premiers bourgeons, Ed. J. Abry, 1913

chat-Yannick-CorbozDessin de Yannick Corboz

 

LE CHAT EMPAILLÉ

 

Sous le noir graveleux des paupières de cire,
Deux yeux louches d’émail vous regardant d’un air
À vous faire pleurer de tristesse ou de rire ;
Une queue où la main s’écorche au fil de fer ;

Des moustaches manquant, des oreilles cassées ;
La peau que nous lissions jadis avec amour,
Avec ses quelques poils aux nuances passées
Rugueuse et sous les doigts sonnant comme un tambour ;

Un socle, enfin, si mal retenant cet ensemble
Par les quatre pieds mous semés d’ongles tordus,
Que, prêt à culbuter, tout l’édifice tremble
Au moindre roulement lointain d’un omnibus :

Voilà ce qui pourtant fut la bête électrique
Qui bondissait, rampait, griffait et miaulait,
Toujours vibrante, alors qu’avec son calorique
La vie entre ses flancs comme un poêle ronflait !

Voilà ce que, payé pour une œuvre d’artiste,
À nous émerveiller employant tout son soin,
A su créer de son mieux un sot naturaliste
Avec du bois, du fil, de l’étoupe ou du foin !

Voilà, si des matous devait périr la race,
Ce qu’en son muséum, fier d’un pareil achat,
Un professeur aurait la bêtise et l’audace
À nos petits-neveux de montrer comme un chat !

Et voilà cependant aussi comme en son livre,
Des gloires du passé se disant le gardien,
Ajuste nos héros, qu’il croit faire revivre,
Le burlesque empailleur qu’on nomme historien !

 

Alfred Ruffin, in Le livre des chats, Ed. A. Lemerre, 1908

 

dubout-chatDessin d’Albert Dubout

 

LE CHAT

I

Dans ma cervelle se promène,
Ainsi qu’en son appartement,
Un beau chat, fort, doux et charmant.
Quand il miaule, on l’entend à peine,

Tant son timbre est tendre et discret ;
Mais que sa voix s’apaise ou gronde,
Elle est toujours riche et profonde.
C’est là son charme et son secret.

Cette voix, qui perle et qui filtre
Dans mon fonds le plus ténébreux,
Me remplit comme un vers nombreux
Et me réjouit comme un philtre.

Elle endort les plus cruels maux
Et contient toutes les extases ;
Pour dire les plus longues phrases,
Elle n’a pas besoin de mots.

Non, il n’est pas d’archet qui morde
Sur mon cœur, parfait instrument,
Et fasse plus royalement
Chanter sa plus vibrante corde,

Que ta voix, chat mystérieux,
Chat séraphique, chat étrange,
En qui tout est, comme en un ange,
Aussi subtil qu’harmonieux !

II

De sa fourrure blonde et brune
Sort un parfum si doux, qu’un soir
J’en fus embaumé, pour l’avoir
Caressée une fois, rien qu’une.

C’est l’esprit familier du lieu ;
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?

Quand mes yeux, vers ce chat que j’aime
Tirés comme par un aimant,
Se retournent docilement
Et que je regarde en moi-même,

Je vois avec étonnement
Le feu de ses prunelles pâles,
Clairs fanaux, vivantes opales
Qui me contemplent fixement.

 

Charles Baudelaire, in Les Fleurs du mal, Ed. Poulet-Malassis, 1857.

 

 

 

Clefs : déesse égyptienne | taxidermie | littérature | félin

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2 Commentaires

  1. PONTAILLIER Amélie

    Bonjour, je suis curieuse… Pierre Lebasteur existe-t-il, ou est-il un avatar de l’auteur de ce blog ? Je suis fan du chat Zébuth, et des autres poèmes publiés sur ce blog, aussi voudrais-je savoir où s’en va mon affection exactement… Merci pour votre réponse.

    • Bonjour Amélie,

      Pierre Lebasteur a bien existé au XXe siècle. L’ouvrage où j’ai trouvé ce poème fantaisiste « LE LIVRE DES SEPT MÉDITATIONS Par Zébuth, chat » (qui m’a également beaucoup plu) est conservé dans plusieurs bibliothèques. Voyez la notice de la BnF : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb30758785p

      Je n’ai en revanche pas d’infos sur sa biographie.

      Pour ce qui est des autres poèmes publiés sur ce blog, ceux dont je suis l’auteur sont regroupés dans la rubrique « Miettes d’écrits » sous le menu « Création ». Mais je ne sais pas si certains gagnent votre affection.
      Je suis en tous cas enchanté de vous avoir pour lectrice.

      Bien cordialement

      Guillaume Riou

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