Faille – Poème de Jany Cotteron

FAILLE

à Tal-Coat

Je suis celui qui marche
vers les sommets
à l’heure tremblée de midi

quand les chiens de soleil
dévorent la montagne
et que le regard se tait
entre les paupières épuisées de lumière.

C’est l’heure où, émergeant de la brume
d’étranges animaux
se couchent à l’horizon
têtes et corps emmêlés
frémissements de croupes et de dos.

Leurs flancs gris portent les traces de
cicatrices anciennes
et leurs mufles sans âge
striés de fissures
de crevasses
racontent les ruptures primitives
de la terre et des rocs.

Je suis celui qui marche
dans le temps arrêté
auprès de la montagne
où les troupeaux impassibles
boivent à même le ciel
la brûlure de l’été.

Je suis celui qui passe
à travers la montagne
déchiffrant dans la roche
les signes originels
de blanc, de noir et d’ocre.

C’est l’heure où le corps s’unit au rocher
où les doigts se lient à la pierre.
Les pieds se posent en arabesques
s’élèvent en lignes lentes, en courbes fugitives.
Les mains lissent les rondeurs tièdes
effleurent les creux, les pointes
glissent dans les fissures humides et fraîches.
Elles cherchent à tâtons le chemin des failles
qui montent vers les crêtes.

Je suis celui qui passe
les abrupts, les ressauts
les dalles et les arêtes.
À la croisée des failles
sur les traces de pierre
ivre du battement de mon cœur
dans le souffle du temps.

Jany Cotteron, in la revue Les idoles idolâtrées, n°4, Etercy, février 2003.

Faille - poème inspiré d'une composition de Tal-Coat
Composition, 1954 – Peinture de Pierre Tal-Coat (1905-1985)

Clefs : poétesse suisse | hommage à Pierre Tal-Coat | art primitif | art premier | peintures pariétales | art paléolithique | sens en éveil | communion avec la matière
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