À l’occasion de la préparation des commémorations du « 150ème anniversaire d’Erik Satie », comme l’indique l’ordre du jour du conseil municipal d’Arcueil, Denis Truffaut, conseiller Front National, a cherché à salir la mémoire du compositeur.
Outre un « hypocrite », un « lâche », un « médiocre », un « illuminé », Satie n’était selon lui qu’un « membre de parti communiste alcoolique ».
Selon le journal Le Parisien, Denis Truffaut a monté son argumentaire à partir de la page Wikipédia du compositeur. Bel exemple d’analyse et de vérification des informations…
Les conseillers FN malheureusement trop présents dans nos municipalités françaises ont l’art et la manière de clamer des énormités.
Cette pathétique anecdote a donné naissance à une délectable chronique radio du brillant François Morel, sur France-Inter, le 3 juin 2016 :
Le con définitif
Il faut un certain courage, une véritable abnégation, un vrai sens du sacrifice pour accepter de jouer le rôle du con. Attention, pas n’importe quel con. Pas le petit con, pas le pauvre con, pas le gros con, non le con de référence. Je veux parler du con certifié, du con authentifié, du con homologué. Vous imaginez bien que je ne perdrais pas mon temps à évoquer le bon con, le brave con, le vieux con, celui que chacun, autour de cette table, derrière son poste de radio, vous, moi, ne peut, de temps à autre, s’empêcher d’incarner, par paresse, par confort, par facilité, par jouissance. Non, je veux parler du con garanti sans facture, du con absolu, du con irrévocable, du con définitif. Celui qui à force d’entêtement, d’énergie, de résolution, finit par susciter l’admiration de tous, le respect de chacun. Le vrai con. Celui qui fait autorité. Celui qui réussit à rendre moins conne la connerie des autres. Celui qui, s’il était signalé dans le guide Michelin, dépasserait la notation « Vaut le détour » pour entrer immédiatement dans la catégorie « Vaut le voyage ». Le con que Michel Audiard a su si bien décrire dans Le Cave se Rebiffe « Celui-là, c’est un gabarit exceptionnel, si la connerie se mesurait, il servirait de mètre-étalon, il serait à Sèvres. »
Oui, celui-là mériterait d’être à Sèvres, conservé au Bureau International des poids et mesure. Et vous vous demandez « mais de qui veut-il bien parler ? » Et vous vous interrogez ! Chacun, au bout des lèvres aussitôt a un nom qui surgit, celui d’un chef de bureau, d’un voisin, d’un architecte, d’un ministre, d’un présentateur télé, d’un chroniqueur radio… Vous n’y êtes pas. Ce con là est indépassable, ce con là est irréfutable, ce con là est irréfragable. Je veux parler de Denis Truffaut. Que sa gloire soit éternelle ! Denis Truffaut est conseiller municipal à Arcueil. Rendons lui grâce ! Témoignons lui notre reconnaissance, notre admiration sans borne.
Lors du dernier conseil municipal d’Arcueil, Denis Truffaut a évoqué Erik Satie. Denis Truffaut est un spécialiste d’Erik Satie depuis qu’il a récemment découvert sa fiche Wikipédia. Denis Truffaut, esthète amateur, a dit combien il était scandalisé que la ville d’Arcueil rende hommage à un personnage « hypocrite, médiocre, illuminé, ivrogne et communiste ».
Merci Denis Truffaut. Bravo pour ton ironie, ton humour, ton sens du paradoxe. Quel plaisir cela a dû être de t’entendre, toi, évoquer la médiocrité d’Erik Satie.
Sans toi, la célébration du 150e anniversaire de la naissance d’Erik Satie serait passée inaperçue. Grâce à toi, Denis Truffaut, honneur éternel, les concerts, les spectacles, les conférences organisés par la ville d’Arcueil pour mettre en valeur l’œuvre d’Erik Satie sont de vrais succès.
Étant donné qu’il reste certains citoyens pour estimer que l’importance d’Erik Satie dans l’esthétique musicale du XXe siècle dépasse l’apport de Denis Truffaut à la vie intellectuelle du XXIe siècle, on aura encore quelques occasions de nous lover dans la drôle et douce mélancolie du maître d’Arcueil « artiste hypocrite, médiocre, illuminé, ivrogne et communiste ».
François Morel, in Le billet de François Morel, France-Inter, le 3 juin 2016.