Un roman dans mon jardin – Poème de Marie de Solms

Parfums et couleurs vives : le printemps, cycle de renaissance, règne sur nos paysages. C’est lors d’une période printanière similaire, en mai 1860, que Marie-Laetitia de Solms (1831-1902) écrit un poème intitulé « Un roman dans mon jardin ».

Princesse de Solms

Marie de Solms est une femme active et rebelle du XIXème siècle. Sa vie est jalonnée de drames : fuite perpétuelle due à son histoire familiale, déceptions amoureuses et mort de sa fille Lola qui se fait écraser à l’âge de trois ans par un omnibus d’hôtel dans une rue d’Aix-les-bains.

Femme d’arts et de lettres, elle crée plusieurs salons littéraires et philosophiques où se côtoient les grands écrivains : Eugène Sue, Ponson du Terrail, Alexandre Dumas,… .
Sa plume n’égale cependant pas celle de ses hôtes.

Libre et féministe avant l’heure, elle marque les esprits par ses excentricités. Ces biographies révèlent qu’on la vit assister à une soirée de gala, simplement vêtue de deux éventails de plumes…

Ce poème donne, au premier abord, une impression de naïve contemplation. Mais en lisant entre les lignes, on voit se dessiner entre désirs et désillusions un autoportrait…

UN ROMAN DANS MON JARDIN

 

De mai les brises embaumées
Soufflent après un long hiver ;
Et leurs haleines parfumées
Font éclore mes fleurs aimées,
Dans mon jardin devenu vert !
La violette la première
Du printemps chante le réveil,
Et la nature toute entière
S’abandonne, amoureuse et fière,
Aux tièdes baisers du soleil !

Hier pourtant, triste et souffrante,
Luttant contre le souvenir,
Moi, j’assistais indifférente
A cette promesse enivrante
Du doux été qui va venir,

Et quand sous la jeune feuillée
Les oiseaux déjà revenus
Chantaient, moi seule, désolée,
Je suivais mon âme envolée
Vers des rivages inconnus.

Que ma rêverie était douce !
Mes yeux erraient, inattentifs,
Du vieux toit verdi par la mousse,
A la ravenelle qui pousse
Au bord des odorants massifs

Mais voici que, belle et pimpante
Comme une étoile dans l’azur,
M’apparut une fleur grimpante
Dans les interstices du mur !

Elle dressait son pur calice
Sur un fût droit comme un roseau,
Et sa corolle large et lisse,
Sans que rien la gêne ou la plisse,
S’arrondissait en un arceau.

La fleur hier épanouie
Resplendissait dans sa blancheur ;
La vue en était éblouie,
Et l’âme y trouvait, réjouie,
Un peu de calme et de fraîcheur.

Une larme de la rosée,
Traçant son humide sillon,
Sur le pistil s’était posée,
Et tremblotait là, caressée
Par un fécond et chaud rayon.

Pour cueillir cette fleur si belle,
Ma main, indiscrète, s’avança,
Lorsque, m’effleurant de son aile,
Enfant de la saison nouvelle,
Un papillon me devança.

Qu’il était brillant ! Sur sa tête,
Hardie et libre en son essor,
Se balançait sa double aigrette ;
Sa robe nacrée et coquette
Avait le fauve éclat de l’or.

Ses larges ailes déployées,
Brunes avec un reflet vert
Et de jaunes taches striées,
Avaient les flammes variées
De l’étincelle qui fend l’air.

Ivre de vie et de lumière,
Que cet insecte était heureux !
Il voltigeait, la mine fière,
Se dandinant, à la manière
D’un poète ou d’un amoureux.

Il effleura ma main brûlante,
Et, glissant à travers mes doigts
Comme une perle étincelante,
Se posa sur la fleur tremblante,
En maître jaloux de ses droits.

Sur la corolle ainsi froissée,
Un frisson me sembla courir ;
Sous ce léger poids affaissée,
On eût dit une âme blessée
Qui comprend qu’elle va souffrir.

Mais le papillon, tête folle !
Ne vit pas ce frémissement ;
Comme un frelon dans l’alvéole.
Sur la virginale corolle
Il s’étala nonchalamment.

Il prit à la fleur offensée
Pollen et parfums précieux,
But à la goutte de rosée,
Et puis, son aile reposée,
Il repartit, insoucieux.

La fleur, repliant son calice
Tout à l’heure frais et charmant,
Sur sa tige vivace et lisse
Se pencha comme un froid cilice
Et se fana soudainement.

Hélas ! Me dis-je alors pensive,
C’est toujours le même sillon
Qu’il faut que l’on creuse et qu’on suive,
Tout meurt, comme la Sensitive,
Sous les baisers du papillon !

L’amour ! Cette éphémère flamme
Dévore et parfum et bonheur ;
Puisqu’en passant il brûle l’âme,
Faut-il encore que le cœur de la femme
Meure de même que la fleur !

Pourtant des brises embaumées
Soufflent après un long hiver,
Et leurs haleines parfumées
Font éclore mes fleurs aimées,
Mon beau jardin est déjà vert !

 

Marie de Solms, in revue Les matinées d’Aix-les-Bains, 1865.
Poème écrit le 15 mai 1860.

 

Un roman dans mon jardinPapillon, tableau de Lydia Mc Intyre, alias « Kitty »

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2 Commentaires

  1. Se faire coiffer au poteau par un papillon… Ah, l’amour est une chose amère, sujette à tant de désillusions !

    Bonjour, Guillaume. Hier, à Bonneville, des visiteurs du salon des écrivains étaient venus au récital de vendredi, me l’ont dit, et en ont fait l’éloge, en particulier de tes interventions, préférées à toutes les autres !
    Es-tu le papillon jeune, beau et virevoltant qui volent à tous les vieux la gloire promise ? On a quand même dit aussi du bien de Daniel Lévy, qui n’est plus tout jeune, mais lui, c’est un don Juan.
    A bientôt.

    • Guillaume Riou

      Salut Rémi,

      c’est flatteur et ça me donne envie de continuer à virevolter. Je trouve très encourageant pour le Cercle des Poètes Retrouvés qu’on puisse ainsi avoir des retours positifs de nos soirées Poésie. A bientôt.

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