Souffle ton souffle – Poème de Raôul Duguay (Luôar Yaugud)

N’écoutant que son plaisir, le hippie québécois Raôul Duguay est, me semble t’il, le poète mystico-vocal le plus farfelu et sympathique jamais égalé.
Plus qu’un simple amusement, son approche théâtrale de la poésie et des jeux vocaux stimule une sorte « d’émotion collective » et le place, d’après moi, en pionnier des expérimentateurs de la poésie sonore.

La pauvreté littéraire de ses textes me paraît incontestable (peut-être est-elle volontaire ?). En revanche, ses recherches d’émotions sonores, de spontanéité du langage et de lyrisme vocal sont surprenants et – passé la surprise – entrainants.

Consommateur de LSD dans les années 1970-80, il exprime ses hallucinations et laisse libre cours à ses envies, comme à ses avis. Il fait vivre mots et sons avec ferveur. Et il s’autorise de véritables délires poétiques dans le cadre de L’infonie, créée en 1967 avec son acolyte Walter Boudreau.

Souffle - L'infonie - Raoul Duguay

Souvent pris pour un fou, il s’avère que Duguay plaît au public, fait passer ses messages engagés et peut s’enorgueillir de son statut de poète populaire. Le crieur d’envol semble porter aux nues son peuple et son pays.
Il replace l’humain parmi les éléments naturels qui composent l’univers (de l’atome le plus petit jusqu’aux constellations les plus vastes) et rend régulièrement hommage à la Terre nourricière.
Plus concrètement, il milite aussi pour un avenir meilleur et une défense de la culture québécoise.

Sa simplicité et son énergie font de cet homme à part, touche-à-tout survolté, un poète très original. Méconnu en France, on devrait s’intéresser à sa part de merveilleux.

Je préfère, personnellement, ses shows poétiques de la période de contre-culture Infonie aux textes et chansons qu’il a écrit ultérieurement.
Voici le poème lu en ouverture de la Nuit de la Poésie de 1980 à Montréal, avec les « ô » chers à Duguay :

Ô vie, sôuffle, sôuffle tôn sôuffle dans le sôuffle de nôs sôuffles.
Sôuffle le ôui* immôrtel à tôn peuple
Libère le sôuffle de ce pays.
Sôuffle la spirale de tes nébuleuses dans la nef de nôs ôreilles.
Et dans nôs vôix, sôuffle le verbe de la vôie lactée.

Sôuffle, sôuffle le sôn du ciel, le chant du sôleil
Dans chaque neurône de nôs cerveaux
Dans chaque vibratiôn de nôs pensées,
Sôuffle, sôuffle le vertige de tes cônstellatiôns
Dans les vertèbres de nôs maux
Et jusqu’au nôyau de chaque môlécule de nôs côrps

Sôuffle, sôuffle, sôuffle ton sôuffle ô vie
Dans le silence de nôs yeux
Sôuffle la lumière des étôiles et celle des neiges éternelles
Sôuffle l’ôr et l’arc-en-ciel dans nôs regards des cieux

Ô vie, sôuffle dans nôs sangs le feu qui fait girer les astres
Et dans nôs muscles sôuffle l’énergie d’ôù émergent les môndes
Sôuffle dans nôs chairs tôn espace pur en dérive
Et autôur de nôs âmes, sôuffle, sôuffle le temps immémôrial,
Sôuffle la transparence de ta fôrce dans les saisôns de nôs esprits
Et jusque dans chaque atôme de nôs êtres

Sôuffle, sôuffle l’irradiante jôie d’être en tôi ô vie
Ô matrice de l’infime et mère de l’infini
Ô musique de la sôurce et semence des sôleils
Ô vie, sôuffle, sôuffle tôn sôuffle dans le sôuffle de nôs sôuffles
Sôuffle tôn sôuffle dans le sôuffle de nôs sôuffles…

Raôul Duguay (Luôar Yaugud), in La nuit de la poésie du 28 mars 1980, Montréal.

* ce « Oui » fait vraisemblablement référence au premier référendum ouvrant la possibilité à l’État québécois de devenir souverain. Il aura lieu 1 mois après cette nuit de la poésie.


Extrait du film documentaire « La nuit de la poésie – 28 mars 1980 » / Office National du Film du Canada.

Pour en découvrir plus sur Raoul Duguay, voyez :
–    le site de Raoul Duguay
–    ses participations burlesques à la première nuit de la poésie (1970)
–    la vidéo de son passage dans l’émission québécoise Tout le monde en parle

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