Un inédit d’Arthur Rimbaud a été découvert et publié le mois dernier dans la Quinzaine littéraire. Je ne pouvais manquer ici de vous faire partager ce texte en prose, « imprégné » (selon les spécialistes) du style du jeune poète.
Le texte est signé Jean Baudry : un des pseudonymes de Rimbaud.
Pour les détails de la fabuleuse découverte et du contexte d’écriture de ce texte… regardez cette vidéo de l’émission de Frédéric Taddeï, « Ce soir ou jamais ». Celle-là même qui m’a informé de la trouvaille littéraire :
Rimbaud « le rêve de Bismarck »
LE RÊVE DE BISMARCK
(fantaisie)
C’est le soir.
Sous sa tente, pleine de silence et de rêve, Bismarck, un doigt sur la carte de France, médite ; de son immense pipe s’échappe un filet bleu.
Bismarck médite. Son petit index crochu chemine, sur le vélin, du Rhin à la Moselle, de la Moselle à la Seine ; de l’ongle il a rayé imperceptiblement le papier autour de Strasbourg ; il passe outre.
À Sarrebruck, à Wissembourg, à Woerth, à Sedan, il tressaille, le petit doigt crochu : il caresse Nancy, égratigne Bitche et Phalsbourg, raie Metz, trace sur les frontières de petites lignes brisées, – et s’arrête…
Triomphant, Bismarck a couvert de son index l’Alsace et la Lorraine ! – Oh ! sous son crâne jaune, quels délires d’avare ! Quels délicieux nuages de fumée répand sa pipe bienheureuse !…
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* *
Bismarck médite. Tiens ! un gros point noir semble arrêter l’index frétillant. C’est Paris.
Donc, le petit ongle mauvais, de rayer, de rayer le papier, de ci, de là, avec rage, – enfin, de s’arrêter… Le doigt reste là, moitié plié, immobile.
Paris ! Paris ! – Puis, le bonhomme a tant rêvé l’œil ouvert que, doucement, la somnolence s’empare de lui : son front se penche vers le papier; machinalement, le fourneau de sa pipe, échappée à ses lèvres, s’abat sur le vilain point noir…
Hi ! povero ! en abandonnant sa pauvre tête, son nez, le nez de M. Otto de Bismarck, s’est plongé dans le fourneau ardent… Hi ! povero ! va povero ! dans le fourneau incandescent de la pipe… hi ! povero ! Son index était sur Paris !… Fini, le rêve glorieux !
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* *
Il était si fin, si spirituel, si heureux, ce nez de vieux premier diplomate ! – Cachez, cachez ce nez !…
Eh bien ! mon cher, quand, pour partager la choucroute royale, vous rentrerez au palais [mots illisibles] avec des crimes de… dame [mots illisibles] dans l’histoire, vous porterez éternellement votre nez carbonisé entre vos yeux stupides !…
Voilà ! fallait pas rêvasser !
Jean Baudry, article paru dans le Progrès des Ardennes du 25 novembre 1870.
« Un cauchemar de M. de Bismark »
– Caricature de Daumier parue dans le journal satirique Le Charivari du 22 août 1870 –
Pour aller plus loin, voyez ces vidéos documentaires du découvreur de ce texte inédit :
– Le rêve de Bismarck / partie 1
– Le rêve de Bismarck / partie 2