À 15 heures 30 précises, l’homme et le vélo ont fendu la foule. Fleuris de badges, enjolivés d’accessoires, décorés comme un jour de carnaval, fringants malgré leurs carcasses d’un autre âge.
L’homme a sorti d’une sacoche écornée ses instruments de travail : un téléphone rouge, une cloche, un sac de graines, un mètre ruban. En deux enjambées, il s’est hissé sur le couvercle d’une poubelle géante. Embrassant le public d’un coup d’œil connaisseur, il bat le rappel en baladin virtuose, distribue les calembours, fait le clown puis, brusquement, explose soulevé par un subit accès de colère :
« Bande de robots… j’en ai marre de cette société de merde. Pas vous ?… »
C’est un petit vieux vif-argent à la barbe de patriarche, au corps élastique. Des yeux fureteurs, toujours aux aguets. Les poils embroussaillés encerclent la bouche qui découvre, dans un sourire, candide, les derniers chicots.
« Qu’est-ce qui se passe ? Rien. Rien d’humain. L’arnaque, la barbaque, la matraque… »
La voix, tour à tour gouailleuse ou tonitruante, s’accorde à la cacophonie ambiante.
« Le monde est à l’envers, le monde ne tourne pas rond. Et moi je crie. Je crie dans le désert. Ça fait trente ans que ça dure et il n’y a que la mort qui me fera taire. Oui, je suis utopiste. Mais qu’est-ce que l’utopie, sinon une vérité anticipée ?… »
Une jeune fille, au pied de la poubelle, s’est exclamée : « J’aurais dû venir l’écouter avant de faire ma dissert’ ». Son professeur de philosophie le lui avait bien dit : « À Beaubourg, il y a une espèce de Diogène. Il s’appelle Mouna ».
Anne Gallois, in Aguigui Mouna. Gueule ou crève, Ed. les Dossiers d’Aquitaine, 1997
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