Textes de Pierre Lebasteur

En explorant les fonds anciens de la bibliothèque d’Annecy, une collègue a découvert le recueil d’un poète tombé aux oubliettes… Pierre Lebasteur.

Pierre Lebasteur

Voici deux textes qui m’ont plu :

Le 13 octobre 1911,

LUNE

La lune aux pieds d’hermine, âme légère au sol,
Charme les chats frôleurs enroulés dans leur queue;
Les lys harmonieux ont incliné leur col ;
Les femmes aux seins blonds dorment dans l’herbe bleue.

Les arbres se sont tus, où le vent murmurait ;
Les oiseaux amoureux gazouillent à leurs rêves ;
Et la lune aux bras frais berce, par la forêt,
Le sommeil précieux des folles Heures Brèves.

Pierre Lebasteur, in Musiques vaines et premiers bourgeons, 1913

astre lunaire

16-28 octobre 1912,

APOLLON ET LA NUIT

Apollon, Dieu soleil, désira un jour entendre deux illustres poètes dont la rivalité divisait le Parnasse.

Amylas chanta le premier. Ses strophes gonflées d’harmonie avançaient d’un rythme égal et superbe, pareilles à la nef rapide dont une heureuse bise enfle les voiles. Il disait la gloire et la joie puissantes de la Lumière. Car c’est d’elle que la vie est venue aux hommes et à tous les êtres ; vers elle monte l’hymne de l’olivier comme celui de l’aède ; elle brille au foyer de la famille et au temple de la cité. La Lumière, disait-il, est l’ambition des hommes pieux, et la loi des sages.
Soudain sa voix devint plus éclatante, le mètre vibrait et bondissait ; et ses paroles évoquaient, à la palestre, au stade et au combat, la troupe fière des éphèbes au beau corps, qui se tendent comme des arcs ou s’envolent comme des flèches ; ils sont les bien-aimés de la Lumière ! Et il termina son ode en priant la Lumière de descendre en lui-même et d’habiter parmi les hommes.

– Rhéteur stupide et plat ! s’écria le dieu, ne peux-tu chanter quelque plus rare trésor ? La Lumière n’est-elle point partout, toujours, à tous ? Précieux bien en vérité, dont on ne peut avoir assez !

Ainsi raillait Apollon irrité, car étant le soleil, il n’avait jamais vu les ténèbres.

Alors parla Ménon. Sa lyre avait des accents languides et suaves où l’on eût dit qu’on ne sait quel invisible ruisseau venait traîner sa plainte, et laissait quelque chose de limpide. C’était comme l’ondulation d’une fraîcheur mouvante et mystérieuse, qui, éveillant dans les cœurs étonnés d’étranges résonances, semblait y prolonger l’action d’énergies impénétrées fugitivement entrevues.
Le poète évoquait les étoiles comme des sœurs qu’il eût conduites par la main ; il disait le croissant d’argent et la nocturne Chasseresse, et l’amitié des sources assises dans l’ombre et, dans les ténèbres propices, divin par-dessus toutes choses, le Repos. Il chantait la Nuit : la Nuit chère aux amants, chère aux rossignols, chère aux astres qui laissent dans leur sillage une poussière d’or, un troupeau vagabond, les Rêves. Et il disait encore : la Nuit est vérité, parce qu’elle est silence. Elle dévoile ses mystères à ceux-là seuls dont l’âme est recueillie et secrète. Adorons-la ; chastes déesses aux caresses d’ailes bleues, tendre consolatrice, accueille-nous, ô Nuit ! – Puis il posa sa lyre.
Alors, Apollon appuya son front sur sa main, et quand il releva la tête, il dit : – En vérité, ce chant m’a pénétré d’une sublime émotion. Et cependant je ne t’ai pas compris, poète. Qu’est-ce donc que la Nuit ?

Pierre Lebasteur, in Musiques vaines et premiers bourgeons, 1913

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