Vita Silente – Poème de Michel Passelergue

Vita Silente

« Il faut découvrir l’œil dans chaque chose. »
Giorgio de Chirico

1

Des arcades pour dérober à la nuit, suivant tout son tissu intérieur, l’encre la plus acide. Des ombres démultipliées, des colonnes, des meubles qui se craquellent, des temples de hasard : tout pour mieux vivre à la lumière, sans mémoire. D’une lumière à toucher, à émietter à midi, trempé dans son silence. Le temps, sève en plein sommeil, emporte avec lui nos dernières fumées. Nous survivons. La terre a vomi galets, décombres, âpres fruits mortels ; un voilier a surgi de la toile : c’est l’énigme brûlante.

2

On navigue à vue dans l’ocre et le bistre. Un chevalet tient le printemps à la force de ses prémices, toutes lignes entrecroisées. On traverse des perspectives gauchies, l’œil en porte-à-faux. Œuf premier, cet objet oublié qui inquiète les dormeurs en l’absence de toute vague sur le rivage, tandis qu’un ciel de plus en plus vert suinte entre les mots. Statue et train d’ombres s’immobilisent, couchés sur l’envers de l’échiquier qu’une main ensanglante.

3

Blessure prémonitoire, cette étoile noirâtre à la tempe, moins lampe de sang que percée aveugle vers des chambres incendiées. Mourir, question d’angle et de nuages. Le buste incliné sous la fenêtre ne dort que d’un côté. Guetteur, le poète saura cueillir tous les pavots de la mélancolie, jusqu’à l’estuaire d’ombre. Ce sera, dans l’atelier aux images, une vie silencieuse, la dernière.

Michel Passelergue, in la revue Coup de soleil n°79 de juin 2010.

Les plaisirs du poète - Vita Silente

Les plaisirs du poèteGiorgio de Chirico (1888-1978), Huile sur toile, 1912.


Clefs : peintre | art | artiste | nature morte | rôle du poète
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