Malvina – Une courtisane « à la Audiard »

Je viens de voir le film « Comment réussir quand on est con et pleurnichard », qui raconte les tribulations d’un représentant de commerce, dont les perpétuelles lamentations ont un effet bénéfique sur ses affaires et sa vie sentimentale.

Malvina courtisane - Affiche

Réalisé en 1973 par Michel Audiard, il met en scène Jean Carmet (Antoine Robineau), Stéphane Audran (Cécile), Jean-Pierre Marielle (Gérard), Jean Rochefort (Foisnard), Jane Birkin (Jane), Evelyne Buyle (Marie-Josée), Robert Dalban (le patron du bistrot), Daniel Prévost (le ‘taulier’), Ginette Garcin (l’infirmière-chef) et Jeanne Herviale (la mère d’Antoine).

Comme la plupart des films d’Audiard : j’ai apprécié ! Dialogues percutants, ironie pinçante, caricature de la société, acteurs barjots… un cocktail détonant.

Je ne pouvais manquer ici de vous livrer un des poèmes qui siège au cœur du scénario, annoncé comme « Top à Charles Baudelaire »… lu dans le cabaret où Jane fait un strip-tease torride.

Malvina, poème érotique, est en fait un pastiche du réalisateur.
En effet, Audiard s’est inspiré du poème « À une courtisane » attribué à Charles Baudelaire et publié par les éditions Gallimard en 1938, dans le premier volume consacré au poète dans la collection « La Pléiade ». Or, ce dernier s’avère être un pastiche par Pascal Pia (que vous pouvez lire dans les commentaires visibles sous cet article, grâce aux recherches pertinentes de Gatien et Denis).  Cet écrivain, passé maître en matière de pastiches, écrivait des poèmes qu’il attribuait faussement à Apollinaire, Radiguet et Baudelaire.

Voici donc le pastiche d’un pastiche par Audiard :

Malvina

Tes cheveux Malvina, ont le parfum des îles,
Mélange très subtil, chargé de sel marin.
Vaporeux souvenir, où le souffle des villes,
Épouse les ardeurs de l’amour clandestin.

Ton torse, Malvina, est un verger splendide
Dont les fruits savoureux sont trempés de soleil,
Fruits d’amour que le sol généreux de Floride
A nourris de ses sucs et teintés de vermeil.

Parfois tu prends aussi une pose enfantine,
Jouant l’étonnement ou la molle candeur.
Et riant aux éclats lorsque ma main taquine
Ton vaste sadinet* où s’éteint toute ardeur.

Témoin des doux travaux dans lesquels tu excelles,
Ton nombril garde encore son ingénuité.
Évoquant par ce trait les putains de Bruxelles,
Qu’empourprent les émois de la virginité.

Sous tes vêtements clairs, ta gorge molle ondule.
Donnant à l’amateur quelque penser malsain.
Elle frôle en passant la baguette d’Hercule,
Et je sens se durcir, le globe de ton sein.

Tes jambes, Malvina, où circule un sang calme
Montent, mais lentement, vers un ciel sombre et bas.
Douloureux paradis, qu’évente de sa palme,
Un négrito dressé pour de savants combats.

Tes appâts rebondis, aussi lourds que tes fesses,
Rapproche-les, formons un couple monstrueux.
J’aime à chercher ainsi par d’humides caresses,
Un plaisir compliqué, un coït douloureux.

Michel Audiard, pastiche de Pascal Pia pastichant Baudelaire, dans le film Comment réussir quand on est con et pleurnichard, 1973.

* SADINET : terme employé comme substantif par F. Villon pour désigner le sexe féminin

Scène de « Comment réussir quand on est con et pleurnichard » (Vimeo).

Clefs : À une courtisane | film français | comédie | nanar | faux | Pierre Durand | cabaret | exotisme | sexe | érotisme
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7 Commentaires

  1. Je crois que tu te trompes, Malvina est réellement un poème de Baudelaire. Un poème de jeunesse certes, de plus très peu publié, mais bien de lui. Ici Audiard l’a repris mot pour mot, mais il a coupé des morceaux, l’original étant bien plus long. Je n’ai pas vu le film mais je vais me le procurer. Cordialement

    • Je te remercie pour cette remarque. Je vais me repencher sur la question et si j’arrive à mettre le main sur ce poème de jeunesse de Baudelaire, je publierai un correctif avec le texte original.
      Si de ton côté tu pouvais le retrouver et me le communiquer ce serait super.
      Cordialement

      • Je ne le trouve pas sur internet, c’est en le cherchant que je suis tombé sur ton article. Je pense pouvoir mettre la main sur un bouquin la semaine prochaine. Peut-être l’auras-tu trouvé d’ici là ?

        • J’ai parcouru les œuvres complètes de Baudelaire dans la collection de la Pléiade, éditions NRF. J’ai trouvé quelques vers peu connus du poète sur les femmes et leurs charmes (que je publierai sur ce blog bientôt)… mais pas l’ombre d’une « Malvina », même dans ses poèmes de jeunesse ou dans les textes qui lui sont attribués.
          Alors pour l’instant je confirme, faute de preuves, que ce poème est un pastiche du style Baudelaire par Audiard.

  2. Rendons au César de la poésie son bien. Charles Baudelaire « Œuvres complètes » aux éditions « le club français du livre », pages 1577/1578/1579/1580.

    A UNE COURTISANE

    I
    Tes jambes, Malvina, où circule un sang calme Montent mais lentement vers un ciel sombre et bas, Douloureux paradis qu’évente de sa palme Un négrito dressé pour de savants combats. Un maquignon, jadis a souillé ta retraite Cueillant l’unique fleur que portait ton rosier, Remuant ton jardin, ta venelle secrète, Où mille autres depuis… Le noir rassasié Contemple ce ciel fauve où vacille une flamme Et cette plage noble où sa v…. a pleuré Deux larmes de liqueur, élixir de la femme, Alcool du sodomiste, eau-de-v.. du curé.

    II
    Tes grâces, Malvina, font que le mortel b…. Qu’il ait nom Monselet, Malassis ou Seymour, Pauvres pécheurs ! – Ta main a tressé la guirlande Qui doit orner les nœuds qu’a dessiné l’amour. Ta main a fait lever des colonnes fleuries ! Tes complices pâmés, vaincus par le plaisir, Ont mouillé de ton corps les champs et les prairies, et le vallon d’un c.. offert à leur désir. Tu as b… des fous, des marchands et des princes… On murmure ton nom chez les Carbonaris; Un enfant souffreteux, perdu dans les provinces, En chatouillant sa sœur, rêve que tu souris. Un membre bat pour toi sous cette large cape Qu’un seigneur florentin arbore à l’opéra; L’ivrogne, contre un mur donnant l’air à Priape, Pense aux félicités que ton cœur procurera.

    III
    Tes hanches, Malvina, et ta taille fringante D’une lyre élancée imitent les contours, Je crois voir quelquefois dans une valse lente Des Bra…….. roidis faire deux ou trois tours. Et toi, te pavanant au milieu de leur ronde, N’ayant pour falbala qu’un méchant cotillon, T’appliquer par moments avec un soin immonde
    A me mordre la queue et pincer un cou….. ! Parfois tu prends aussi une pose enfantine, Jouant l’étonnement ou la molle candeur, En riant aux éclats lorsque ma main taquine Ton vaste sadinet où s’éteint toute ardeur. Ton large c.. bistré où je porte la bouche, Heur que nul ne se lasserait de respirer, Trompette du plaisir que chaque soir embouche Un v.. lampsacien au prépuce doré !

    IV
    Ton nombril, Malvina, est la rose naïve Que Cassandre jadis allait voir au matin, Emblème délicat dont la fraîcheur avive Les stériles regrets du vieillard libertin. Témoin des doux travaux dans lesquels tu excelles, Ton nombril garde encor son ingénuité, Évoquant par ce trait les putains de Bruxelles Qu’empourprent les émois de la virginité !…

    V
    Ton torse, ô Malvina! est un verger splendide Dont les fruits savoureux sont trempés de soleil, Fruits d’amour que le sol généreux de Floride A nourris de ses sucs et teintés de vermeil. Sous tes vêtements clairs ta gorge molle ondule, Donnant à l’amateur quelque penser malsain, Mais frôles en passant la braguette d’Hercule Et je sens se durcir le globe de ton sein. Tes appas rebondis, aussi lourds que tes fesses, Rapproche-les ! Formons un couple monstrueux ! J’aime à chercher ainsi, par d’humides caresses, Un plaisir compliqué, un coït douloureux. Parfois, j’admire encor, dans l’alcôve où tu couches, les charmes d’un nu clair sur de sombres décors. Auprès de toi j’ai su quels jeux mènent nos bouches, Quels ressorts merveilleux peuvent régler nos corps !

    VI
    Tes cheveux, Malvina, ont le parfum des îles, Mélange très subtil chargé de sel marin, Vaporeux souvenir où le souffle des villes Épouse les odeurs de l’amour clandestin ! Cheveux de Malvina, soyez donc mon refuge, La source, le flot pur où me désaltérer ! J’ai vainement cherché dans les eaux du déluge A calmer cette soif qui me fait délirer !

    VII
    Il faut penser souvent à celui qui surveille… Chérir la courtisane est peut-être un délit, Peut-être les péchés que le cœur nous conseille, Par un juge éclairé ne sont jamais remis.

    Voici la note qui accompagne le poème : « Cette pièce a été publiée dans la Quintessence satyrique du XIX siècle (1924) par Pascal Pia comme un « poème inédit de Charles Baudelaire », reproduit « d’après le manuscrit original » retrouvé dans les papiers d’Alphonse L’écrivain, ami de Baudelaire et de Poulet-Malassis. Jacques Crépet soupçonnait très clairement Pascal Pia lui-même d’être l’auteur du poème. Il s’agirait alors d’une mystification pure et simple, – et très baudelairienne. Il est certain que la production de ce « manuscrit original » serait décisive. Il ne serait pas absolument impossible que le poème fût de Baudelaire en raison de sa liberté même : « défoulement » (et … poésie payante) ; il y aurait là l’équivalent des poèmes clandestins de Verlaine. – Plus d’un rapprochement s’impose (dans la note liminaire, on a relevé le « ciel bas et sombre » et la « voûte nocturne »; il y en a d’autres, par exemple le « cœur » de la septième strophe qui est le même que celui des Mystères Galans). Enfin, ce n’est pas un « faux », car précisément cette pièce ne pourrait jamais passer pour du « vrai » Baudelaire. Le titre peut aussi bien s’ajouter aux sept « A une… » des Fleurs du mal et autres poésies, – que, précisément, trahir l’intention parodique. Ce qui, selon nous, la trahirait encore mieux, avec le pasticheur ironique, c’est la « moralité » finale. Or, dans cette strophe même, on relève un fait troublant : le manquement aux règles de la rime (délit-remis), unique dans le poème, et que le pasticheur n’aurait pas dû se permettre, – mais tel qu’on en trouve dans le premier état de certains poèmes de Baudelaire. Et pourtant, le pastiche semble se dénoncer par la manière dont il est fait. Son auteur a choisi des mots baudelairiens (mais dont Baudelaire ignorait sans doute qu’ils le fussent), tels que paradis, se pavane. Mieux encore : il a emprunté tout un hémistiche – « et la taille fringante » – à Une Martyre. On a voulu étendre encore, sans commencement de preuve, ce petit « enfer » baudelairien, par la collaboration de notre poète à deux recueils dont les enseignes ou mentions d’origine, non moins que les titres, sont tout un programme : Joyeusetés galantes du vidame de La Braguette (« Luxuriopolis »); et Le Keepsake ou les délassements (que Baudelaire se fût peut-être amusé à écrire « délacements ») du boudoir (« Foutropolis »). Baudelaire n’a collaboré à ce dernier que par un quatrain connu de tout le monde : L’esprit conforme, d’Amoenitates Belgicae. » Mais qui est César en fait ?

  3. Merci beaucoup Gatien et bravo pour avoir déniché ce poème qui nous a donné du fil à retordre.
    J’ai modifié mon article en conséquence et renvoie les lecteurs sur ton commentaire.
    Cordialement.

  4. Audiard s’est en réalité inspiré d’un pastiche déjà existant de Baudelaire, celui (cité in extenso ci-dessus) écrit par Pascal Pia, ami de Camus, paru dans les années 50, et faussement attribué à Baudelaire lui-même. Pia a réitéré la manœuvre avec d’autres auteurs tels que Rimbaud ou Apollinaire. On peut donc dire que le poème d’Audiard est le pastiche d’un pastiche !

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