Enivrez-vous – Poème de Charles Baudelaire

ENIVREZ-VOUS

Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « Il est l’heure de s’enivrer ! Pour n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

Charles Baudelaire (1821-1867), In Le spleen de Paris (Petits poèmes en prose), Œuvres complètes, Ed. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1975
Première publication du poème dans le journal Le Figaro du 7 février 1864.

enivrez-vous
Poetry in a bottle – Affiche par Luke Stockdale

Clefs : ivresse | philosophie de vie | plaisir | conseil
Partager
Facebooktwitterredditpinterestlinkedintumblr
Lien pour marque-pages : Permaliens.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *