Destinée végétale – Poème d’Yves Peyré

Destinée végétale

Près du songe, la pierre du toit,
la poussée,
le cri, la vocifération et les feuilles
qui palpitent,
milliers de soupirs jetés en pâture
au ciel,
peu à peu je deviens, je monte,
je m’agrippe.

Un bras et un coude, ma branche
ne casse pas,
cristal de l’incertitude, elle se plaît
à l’angle,
depuis la terre, elle élance son dessin,
une sève
exubérante, l’eau lourde qui m’irrigue,
je tourne
et reviens, je suis droit, je ponctue
la distance.

Frêle bâtonnet dit arbre, dit homme,
voisin de la caillasse,
je bois en terre, je suis feuillage,
je me rêve
déjà ombrelle, grande courbure, parasol,
je marche
sur la vague immobile de l’être,
un grand silence,
une parure, un excès de mots
ou de feuilles.

Je redescends, qui s’exalte, c’est un vent,
une caresse,
je vais contre, j’enlace, je désespère,
têtu,
fier de l’écorce qui craque, du sourire
qui pointe,
je ne vois pas plus loin que ma branche,
craignant
le feu qui cajole ou la saison qui dépeuple.

Un parfum ou la criée du songe,
je frissonne
encore, je vais loin dans ma marche
imperceptible,
me perdant vers le haut, m’inventant
à mesure
un ciel, j’abandonne les tentations vaines,
je tisonne
mon ardeur, une frénésie de verdure
et la souplesse
des branches sveltes qui se couchent
non sans tendresse.

Un dernier bien, seul arbre parmi mille,
l’immense
d’une course, la mêlée, la bataille, la foule,
mes racines
sont silencieuses, elles me remémorent
mes luttes,
mes élans et le désir du partage :
feuilles,
sève, chorégraphie du mouvement,
je tangue
sur la terre, au ras du ciel,
je m’époumone
en frondaison et en eau, mon rêve se perd
dans le sol,
il remonte haut, il s’embrase
avec le vent.

Je vais, je ne me retiens pas,
je nais
de terre, le ciel est à portée,
je mêle
le noir et le bleu, j’avoue la jonchée
et le murmure,
je persiste et sans cesse deviens.

Yves Peyré, in Destinée végétale, Ed. Céphéides, 1997

Destinée végétale

Landscape – par Levi Van Veluw


Clefs : évolution | bibliothécaire
Partager
Facebooktwitterredditpinterestlinkedintumblr
Lien pour marque-pages : Permaliens.

2 Commentaires

  1. Magnifique poème. Je prends la liberté de mettre un lien sur mon mur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *